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Cette adaptation de l’une des pièces les plus célèbres d’Eugène Ionesco, dramaturge français d’origine roumaine, chef de file du théâtre de l’absurde, est saisissante. Quant aux acteurs, membres de la troupe du Theatrul Municipal « Matei Visniec » de Suceava en Roumanie, dirigés par Alain Timar, metteur en scène et directeur du théâtre des Halles, ils sont éblouissants.
Avec Rhinocéros, l’auteur, comme on le sait, cible particulièrement le nazisme. Mais c’est au totalitarisme, et à la diversité des formes qu’il peut prendre, que cette farce politique éveille. L’actualité de la pièce tient, aujourd’hui, aux yeux d’Alain Timar, le metteur en scène, au primat – et aux diktats – du consumérisme. « Dans un monde qui ressemble à un vaste supermarché, où tout se vend et tout s’achète (…), l’argent roi règne en maître et une nouvelle maladie est apparue : la rhinocérite. Dans cette version comico-tragique de Rhinocéros, où l’humain et le consommateur ne font qu’un, la mise en scène nous interroge : serions-nous, nous aussi frappés de rhinocérite ? Pouvons-nous résister ? Mais comment ? » interroge Alain Timar.
Des comédiens au talent fou
Si la pièce actualise le propos, elle en respecte le déroulé en trois actes et les caractères. Seule entorse à la lettre du texte, les personnages contaminés, atteints de rhinocérite, dont le nombre ne cesse d’enfler, poussent, un sourire indéfectible aux lèvres, des caddies de supermarché remplis à ras-bord. C’est la corne dont Alain Timar dote ses interprètes. Et ça parle d’autant mieux que les acteurs livrent des prestations totalement engagées. Leur talent fou emporte tout. Le dispositif scénique, réduit à sa plus simple expression, n’existe que par la grâce de leurs incarnations. Si l’on veut voir ce que signifie « jouer », il faut découvrir cette pièce.
Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens